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La cavalerie carolingienne: Tactiques de combat et entrainements

Damien Schirrer • 23 décembre 2019

La cavalerie carolingienne: Tactiques

Avant-propos

L'armée carolingienne fait largement appel au cheval, utilisé pendant les batailles, mais aussi pour des longs déplacements lors d'une campagne militaire. Conscient de l'importance du cheval dans son armée, Charlemagne légifère sur l'élevage des chevaux et sur leur valeur marchande définie en fonction de leur spécialisation. Il était courant alors que la «dona annualia aut tributa publica» qui liait clercs et nobles à l'empereur soit payée en chevaux. L'objectif était bien sûr pour le pouvoir central de disposer du plus de montures possibles et en définitive d'une cavalerie nombreuse et performante.

Cavalerie de choc et cavalerie de mêlée 

La cavalerie carolingienne se divise en deux catégories. La première est une cavalerie de choc à l'équipement lourd et cher dont qui n'était accessible qu'aux grands propriétaires terriens (au moins 12 manses). La seconde catégorie est constituée de cavaliers moins fortunés qui ne disposaient en général que d'un cheval, d'un bouclier et d'une lance de longueur moyenne, et formaient un corps de cavalerie légère. L'existence de ces deux types de cavalerie est suggérée dans les Annales «regni Francorum» de l'an 782 qui détaillent le déroulement de la bataille de Süntal, opposant l'armée saxonne aux forces de Charlemagne. L'équipement de la cavalerie carolingienne est également décrit dans le «capitulare missorum» de 792-793 ainsi que dans une lettre de Charlemagne adressée à Fulrad et datée de 806. Enfin l'iconographie carolingienne semble aussi opérer une distinction claire entre la cavalerie lourde et la cavalerie légère 

La cavalerie de choc, équipée de lances lourdes («hastilia») et d'armures de grand prix est comme son nom l'indique prédisposée à la charge. Étant donné le poids du cavalier et de son équipement – qui devait handicaper le cheval et restreindre sa mobilité – il est probable que la charge de la cavalerie de choc visait des cibles plus lentes et si possible désorganisées, comme des piétons ou des cavaliers peu véloces. 
La cavalerie de mêlée compte davantage sur la mobilité. Ces hommes sont équipés d'un bouclier, d'une lance de taille moyenne voir d'une épée courte de type «gladius/scramasaxe» qui n'équipe malheureusement jamais les cavaliers dans l'iconographie, mais dont l'usage est cité dans les sources textuelles. Il faut sans doute voir cet emploi du «gladius» comme une alternative, utilisée lorsque le cavalier met pied à terre pour rejoindre une formation resserrée de type «phalange». Le cavalier carolingien est en effet entraîné à monter et descendre de son cheval le plus rapidement possible au gré des revirements de la bataille


La geste de Walter: un témoin précieux

Le récit de la geste de Walther fournit un aperçu détaillé du rôle que tient la cavalerie de mêlée lors d'une bataille à l'époque carolingienne.
- Tout affrontement débute par une volée de projectiles sur l’ennemi. Archers et frondeurs sont placés au devant de la phalange et arrosent copieusement l’ennemi de leurs traits au signal de trompettes (« classica ») sans doute similaires à celles du Psautier d'Utrecht .  Dans la geste de Walther, des cavaliers prennent également part à cet première phase de la bataille: ils s'approchent suffisamment des rangs ennemis pour lancer leurs javelines avant de battre en retraite, possiblement sous les tirs de leurs adversaires. L’intérêt de fixer le bouclier dans le dos au moyen d'une sangle prend ici tout son sens, car cela permet au cavalier de rester protéger lors de sa retraite. En de rares occasions, nous pouvons observer dans l'iconographie des cavaliers dont le bouclier est ainsi fixé, libérant les deux mains et protégeant le soldat par l'arrière.
- Dans un second temps, et une fois les munitions épuisées, les cavaliers se repositionnent en un front resserré, voire en colonne, en prévision d'une charge éventuelle. Sous les ordres d'un supérieur, et au son des trompettes, les cavaliers se saisissent de leurs épées et empoignent leurs boucliers (jusque là fixés dans leur dos).
- Vient ensuite la charge qui nécessite la synchronisation de tous les cavaliers, afin que le choc frontal soit le plus violent possible.
Dans le cas d'un affrontement entre cavaliers, la puissance du choc entre les deux formations adverses ne devait cependant pas être aussi forte que ce que l'auteur de la geste de Walther tente de faire croire. En effet, la formulation qu'il utilise dans le récit («les épaules de certains chevaux percutent celles des autres, et certains hommes en tombent au sol ») semble être reprise d'une citation de Virgile. De plus, la faible distance séparant généralement les deux formations ne permet pas aux chevaux d'atteindre leur pleine vitesse. Le texte nous informe cependant du rôle crucial que tient le bouclier pour désarçonner l'adversaire. Nul doute qu'un violent coup porté par un umbo, ou par la tranche du bouclier puisse déstabiliser un cavalier jusqu’à provoquer sa chute. On devine ici l’intérêt d'équiper son cheval d'étriers (courants dans l'iconographie) afin de gagner en stabilité lors d'affrontements où l'objectif principal est avant tout de désarçonner l'adversaire plus que de le tuer alors qu'il est encore en selle.
– Dans le récit de la geste de Walther, la bataille finit par la retraite des forces adverses, en rangs totalement désorganisés. Un tel mouvement de retraite pouvait être assorti d'un signal donné à l'aide d'un cor (ou d'une trompette) comme le suggère l'iconographie.  Assuré qu'il ne s'agit pas d'une « retraite feintée » (dont nous détaillerons le principe ci dessous), le héros Waltharius demande à ses troupes de poursuivre leurs ennemis du plus vite qu'ils le peuvent, sans l'obligation de tenir une quelconque formation. 

Des archers montés dans l'armée carolingienne?

Charlemagne, dans une lettre datée de 806 adressée à Fulrad, indique que l'arc est une arme utilisée régulièrement par les cavaliers. Ce témoignage écrit reste malheureusement anecdotique et peu de sources littéraires ou iconographiques viennent nous éclairer à ce sujet. Les quelques cavaliers armés d'arcs que l'on peut observer dans les manuscrits carolingiens peuvent en effet être inspirés de modèles iconographiques antiques ou incarner des peuplades étrangères, comme les Avares, que les Francs connaissent fort bien. Les cavaliers, complètement retournés sur leurs selles du Psautier de Stuttgart (pour ne citer que lui) évoquent en effet les peuplades asiatiques que l'on retrouve parfois représentées sur des scènes de chasse sur les brocards de soie d'influence Sassanide.
Il n'est cependant pas exclu que les Carolingiens aient pratiqués le tir à l'arc à dos de cheval, mais il semble que cela soit resté anecdotique. Dans tous les cas, l'emploi de l'arc dans la cavalerie, s'il est bien maîtrisé, s'avère d'une grande efficacité. Il permet d'éviter les pertes et convient très bien aux tactiques de «retraite. graphe
Psautier de Stuttgart, folio 71V.
La cavalerie carolingienne: Entraînements et tactique de la charge feintée

Généralités
L’entraînement et l'entretien des cavaliers est une dépense coûteuse dont la plupart des grandes puissances européennes du début du Moyen-Âge doivent s’acquitter. Notons que l'usage intensif du cheval à la guerre est une fois encore un héritage du bas-empire, que partagent Byzantins et Carolingiens.
A l'instar des piétons, une part importante de l’entraînement du cavalier consiste en l'apprentissage de techniques de manœuvres en groupe. Familiariser le cheval au stress engendré par la bataille ainsi qu'aux exigences requises par une action groupée complique grandement l’entraînement du cavalier. Sa formation s'étale en général sur plusieurs années. Selon une tradition sans doute ancienne, Raban Maur insiste sur l'importance de former le cavalier («equitem») dès le plus jeune âge.
L’entraînement du cavalier, qu'il soit novice («tirones») ou soldat de carrière («milites») nécessite de savoir monter et descendre du cheval le plus vite possible, au gré des circonstances de la bataille. Raban Maur précise que l’entraînement débute sans armure, puisse complique pour les plus expérimentés que l'on équipe d'un casque, d'une armure et d'un bouclier, ainsi que d'un scramasaxe dans son fourreau, voire d'une épée longue. Nul doute que monter ou descendre d'un cheval le plus rapidement possible implique une gestuelle très codifiée, vus le poids et l'encombrement occasionné par un tel équipement.

Nithard, neveu de Charlemagne, décrit avec précision dans son ouvrage intitulé "Histoires" l’entraînement à la tactique de la « retraite feintée » qui était dispensé aux troupes du temps de Charlemagne. Ainsi, et selon ses dires, deux formations de cavaliers se font face à une distance d'une centaine de mètres. Au signal donné par l'instructeur, les deux groupes lancent la charge, durant laquelle les cavaliers agitent leurs lances, hurlent mais restent en rang serré. A quelques mètres de l'impact, l'une des formations opère un demi-tour soudain («evadere simulabant») , feignant la retraite, avant de faire volte-face et d'engager le combat à l'aide d'armes factices ou de lances lourdes («hastilia») en bois dont la pointe est émoussée. Cette tactique millénaire, dont l'origine est peut-être celte et qui est déjà décrite par des auteurs grecs comme Arrien ou Onosandre, fut également utilisée par l'armée romaine dont les carolingiens se sont largement inspirés. Cet entraînement dont Nithard ne cache pas le caractère périlleux permet de former les cavaliers à la charge, mais également au combat rapproché avec le souci constant de conserver une formation compacte afin de maximiser les dégâts occasionnés lors de la charge. Lorsque les soldats feignent la retraite avant de reformer les rangs et de faire volte-face, l'objectif principal est d'inciter l'adversaire à briser ses rangs pour entamer une poursuite désorganisée et en définitive une charge suicidaire.

Dans cette tactique, la simultanéité du choc importe plus que la vitesse de charge en elle même. Le désastre de la bataille du mont Süntal en est l'illustration parfaite: les cavaliers lourds francs y ont chargé les forces saxonnes à pleine vitesse sans rester en formation et ont essuyé un terrible échec militaire, oublié (volontairement ?) de la littérature carolingienne, à l'exception des Annales regni Francorum de l'an 782.
Livre des maccabées. Retraite de cavaliers en formation serrée, boucliers dans le dos.
Bibliographie: 

Butt John « Daily Life in the Age of Charlemagne »
Bachrach B. (2001) « Early Carolingian Warfare » 
Coupland S. (1990) « Carolingian Arms and Armor in the Ninth Century » 
Halphen L. « Eghinhard, vie de Charlemagne » (les classiques de l'histoire de France au Moyen-âge), ed Paris, 1923,
Devries Kelly (1987) « Wounds and Wound repair in medieval culture »: 
par Damien Schirrer 17 mars 2021
Les motifs tamponnés de Chernigov, qui sont au nombre de 2, sont connus de la grande majorité des reconstituteurs du début du moyen-âge à l'heure actuelle. La version « en croix » à décor crénelé, et l'autre, en « fleur » décorent désormais les vêtements de reconstituteurs de plus en plus nombreux, Rus, ou Byzantins pour la majorité. Les motifs tamponnés aujourd'hui, qui sont invariablement les mêmes, sont issus des travaux de E.S. Vidinova, datés des années 40. Cette interprétation quasi « unanime » à l'heure actuelle s'est faite sur la base d'artefacts fragmentaires, quoi que suffisants pour recréer un médaillon complet, par jeux de symétrie répétées.
par Damien Schirrer 23 décembre 2019
par websitebuilder 11 août 2019
Origin and history of conservation This Codex, now in the Leiden Library in the Netherlands, is dated to the first half of the 10th century. It is therefore straddling between the extreme end of the Carolingian era, and the beginning of the Ottonian era. The construction of this work probably began at the Abbey of St. Gall, but seems to have been finalized at Reichenau Abbey in Germany. The manuscript contains the first book of "Maccabees" and the copy of the fourth book of "Epitoma Rei Militaris" of Vegetius. They were both assembled at the very end of the 12th century. Unfortunately, there is no digitization of the document in its entirety, and we will only be able to study scattered folios available on the Internet. Description of the content This Codex is famous for its formidable representations of bellicose scenes. The figurative events are biblical, but it seems that the, or the draftsmen, were inspired by Magyares incursions that ravaged southern Germany in the tenth century. Once again, and as is customary in Carolingian religious literature, contemporary material elements of the writing of the document are set on a narrative narrative relating older events. The stylistics of the drawing is particular, since it plays on the effects of compact accumulations of characters, preventing in fact any quantitative analysis where the basic unit is the individual. However, it is possible to identify with relative ease the represented militaria and to make cross-checks with available textual and archaeological data. The drawing of a rare delicacy offers valuable information on late Carolingian military equipment, and that of the Magyars, both mixed in scenes where soldiers are regularly arranged in combat formation. Analysis of military equipment Most warriors wear heavy chainmail, which is not usual in Carolingian iconography where scaled armor predominates. Perhaps it is due to the late nature of this document. Note, however, that some characters are protected from scalar armor already frequently encountered in the Stuttgart Psalter, written a hundred years earlier. The question of helmets, is quite difficult: About half of the helmets represented is similar in all respects to the helmets usually represented in Carolingian illuminations. They are reinforced with two crosspieces on the summit part, as well as another on the whole circumference: it is thus of "spangenhelms" all that is more classic. But the other half of the helmets has a tapered shape on the top and look in all respects to the helmet Pecs (Hungarian people, current Hungary, tenth century). It is possible to observe on the neck of the soldiers what could be a cover of chainmail or thick fabric, that Carolingians named "hasberga". Let us note that it is more prudent to abandon any hope of discovering in the Carolingian iconography any copy of a nasal helmet: Some reenactors rely on one or two helmets that have fallen to the ground, and believe that they see a nasal that is probably only a schematic representation of the chin strap, or the cover from the back of the helmet that fell to the ground. The shape of shields and umbos is quite classic. Note however the regular presence of oval-shaped shields without umbos, possibly of exogenous origin? For the rest, spears, javelins and swords are clearly visible, but the drawing does not allow to identify the typology accurately. We can also distinguish another element of more specific militaria, regularly represented in Carolingian iconography: the arc (composite, and of exogenous origin) with double curvature. Battle tactics Precious representations of phalanxes in compact formation can be seen in the Book of Maccabees. These men of humble condition are rarely represented in detail and deserve our full attention since they represented the backbone of the Carolingian and Ottonian army. These phalanges consist of soldiers grouped in tight formation, armed with a spear of medium length and protected from a shield. We will devote a whole article later to the operation of these phalanges, so much is it complex. At the option of the folios, riders ride in formation towards the opponent, ready to inflict violent blows with the help of the central umbo or the slice of the shield. The fugitives, also on horseback, wear their shields in the back with a strap to better protect themselves from projectiles. These scenes, of great wealth are witnesses of a tactic particularly appreciated by the Carolingian cavalry: the feigned retreat. Nithard, Charlemag's grandson , Count of Ponthieu and often struggling with the Scandinavians, went so far as to describe with precision this stratagem in his chronicles "Historia". This tactic is to charge the opponent, then, a few seconds before the shock, to simulate a retreat. The enemy, sure of his victory, may then start a disorganized pursuit. The attackers, on the run, of course, but still in formation, turn around and can surprise their pursuers whose ranks have been broken. In this tactic, training cohesion matters more than the load speed itself. The disaster of the Battle of Mount Süntal is the perfect illustration: the heavy free riders have loaded the Saxon forces at full speed without remaining in compact rows and suffered a terrible military failure, forgotten (voluntarily?) Carolingian literature , with the exception of the Annales regni Francorum of the year 782. Conclusion The Book of "Maccabees" is a source of great importance. Indeed, this Codex presents a military material, worn in real conditions (ie on a battlefield) as is rarely the case in Carolingian iconography. Therefore, it is possible to imagine more easily the use of the weapons and armor represented and the tactics employed on foot as on horseback. Finally, the drawing seems devoid of ancient influences, which frees us from the traditional questions relating to the origin of the represented militaria. Bibliography: Bachrach B. (2001) Early Carolingian Warfare Coupland S. (1990) "Carolingian Arms and Armor in the Ninth Century" Halphen L. "Eghinhard, life of Charlemagne" See also: Walther's Gesture. Author: Damien Schirrer.
Livre des Maccabées
par websitebuilder 1 août 2019
Analysis of the manuscript of the maccabees and introduction to the military tactics of the cavalry.
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